Le commerce français s’unit contre Shein : une procédure d’ampleur inédite lancée

Le commerce français s’unit contre Shein : une procédure d’ampleur inédite lancée

Douze fédérations professionnelles, accompagnées de plus de 100 marques, ont engagé une action judiciaire collective contre Shein pour concurrence déloyale, estimant que le modèle de la plateforme chinoise repose sur la violation de plusieurs réglementations essentielles. L’initiative, d’une ampleur rare dans le secteur, marque un tournant dans la bataille engagée depuis plusieurs années autour de l’équité fiscale, sociale et commerciale.

Cette mobilisation intervient dans un contexte où les acteurs français dénoncent une pression croissante liée à l’afflux de produits importés à très bas prix. En 2024, 775 millions de petits articles en provenance de plateformes extra-européennes ont été expédiés vers la France, selon les chiffres communiqués. Une dynamique qui fragilise l’ensemble de la filière, de la mode aux biens techniques, en passant par la bijouterie et le jouet.

Une action collective d’une ampleur inédite

L’initiative réunit des organisations majeures du commerce et de l’industrie, de la FEVAD à l’Alliance du Commerce, en passant par la FCD, la FCJPE ou l’Union des Industries Textiles. Toutes dénoncent un même phénomène : un écosystème dans lequel certains acteurs respectent les règles fiscales, sociales et sécuritaires, tandis que d’autres bénéficient d’un avantage compétitif en contournant ces obligations.

Le recours vise directement Shein, considérée comme l’illustration la plus visible de cette distorsion. Les organisations rappellent que la plateforme a déjà été condamnée pour pratiques commerciales trompeuses, pour infractions à la réglementation sur la sécurité et la conformité des produits, ainsi que pour des violations du RGPD. Le montant cumulé des sanctions atteint 190 millions d’euros, selon les éléments du communiqué.

Au-delà de ces décisions administratives, plusieurs constats récents ont renforcé l’alerte du secteur : 87% des annonces de réductions de prix sur le site seraient trompeuses, selon une enquête de la DGCCRF, tandis que 8 articles sur 10 seraient non conformes, d’après une opération de contrôle du ministère du Commerce menée début novembre.
Ces données nourrissent un sentiment d’urgence partagé par les entreprises du commerce français.

Un modèle jugé gagnant grâce au contournement des normes

Le cœur de la plainte repose sur un raisonnement simple : en se soustrayant à plusieurs obligations légales, Shein aurait pu réduire artificiellement ses coûts, accélérer ses délais de mise sur le marché et proposer des prix impossibles à aligner pour les acteurs implantés en France.
Un mécanisme décrit comme un avantage compétitif « illégitime », qui se traduit par des pertes économiques directes pour les entreprises locales, mais aussi par une menace croissante pour la sécurité des consommateurs.

Les fédérations pointent notamment l’arrivée sur la plateforme de produits particulièrement problématiques, révélée récemment : objets pédopornographiques, armes en vente libre, et articles présentant des risques pour la santé. Des découvertes qui ont renforcé la volonté du secteur d’agir rapidement.

Dans un communiqué commun, les organisations déclarent :
« Nous refusons qu’un modèle économique fondé sur le contournement de nos règles communes fragilise nos entreprises, nos emplois et la confiance des consommateurs. »

Un signal fort envoyé aux pouvoirs publics et à Bruxelles

L’action s’inscrit dans une séquence politique déjà marquée par plusieurs réactions européennes et françaises face aux plateformes asiatiques à bas prix.
La fin de l’exonération douanière sur les colis de moins de 150€, prévue à partir de 2026, ou encore la future taxe européenne sur les petits colis, témoignent d’une volonté de reconfigurer le cadre compétitif.

Pour les fédérations françaises, la démarche judiciaire complète ce chantier politique. Elles entendent obtenir la reconnaissance du préjudice économique subi par les entreprises implantées en France et l’attribution de dommages et intérêts proportionnés aux pertes enregistrées.

L’audience de mise en état, qui fixera le calendrier de la procédure, est programmée le 12 janvier 2026 devant le tribunal de commerce d’Aix-en-Provence. Les plaignants seront représentés par le cabinet Bruzzo Dubucq.

Une mobilisation qui dépasse le seul secteur de l’habillement

Si l’action est largement associée à la mode, les soutiens couvrent un périmètre beaucoup plus large :
• la bijouterie et les métaux précieux (BOCI, UBH),
• la distribution alimentaire et spécialisée (FCD),
• les jouets et la puériculture (FCJPE),
• les textiles techniques et industriels (UIT),
• les réseaux de franchise (FFF),
• les plateformes et retailers du e-commerce (FEVAD).

Cette diversité témoigne d’un phénomène transversal : l’arrivée massive de produits importés à faible coût impacte autant la bijouterie que le prêt-à-porter, autant le jouet que les équipements maison ou les textiles spécialisés.
Pour ces acteurs, l’objectif n’est pas de bloquer la concurrence, mais de rétablir des conditions de concurrence équitables, dans lesquelles chacun respecte les mêmes règles.

Un enjeu économique, social et territorial

Les fédérations insistent également sur la dimension territoriale du dossier. Les entreprises implantées en France représentent des centaines de milliers d’emplois, dans des zones urbaines comme rurales, et un maillage de points de vente, sites industriels et plateformes logistiques.
Elles soulignent que chaque part de marché captée par un acteur qui contourne les normes représente un risque de fragilisation pour ces écosystèmes locaux.

L’Alliance du Commerce rappelle par exemple que ses membres, grands magasins, enseignes d’habillement, chaussures, représentent 150 000 salariés dans 16 000 points de vente. L’enjeu dépasse donc la seule bataille commerciale : il touche à la vitalité de nombreux territoires et à la résilience d’un secteur stratégique.

Un tournant dans la lutte contre les pratiques jugées illégales

L’action lancée contre Shein pourrait devenir un précédent. Elle illustre une forme de basculement : la filière ne se contente plus d’alertes ou de prises de position publiques, elle engage des démarches judiciaires collectives structurées.
En parallèle, les sanctions administratives déjà prononcées montrent que les autorités publiques renforcent également leur surveillance sur ces plateformes.

Pour le commerce français, il s’agit désormais d’ancrer dans le droit une notion centrale : la liberté du commerce n’a de sens que si elle s’exerce dans un cadre commun, respecté par tous.