Connaissez-vous l’antonomase ? Cette figure de style vous semble peut-être inconnue et pourtant vous l’avez forcément déjà rencontrée ou utilisée.
Il a décroché un césar. Passe-moi un kleenex ? J’ai scotché l’affiche au mur. Peux-tu shazamer cette chanson ? Ces phrases du quotidien vous paraissent naturelles, pourtant, elles cachent chacune cette figure de style bien particulière que la société s’est appropriée.
L’antonomase consiste donc à employer un nom propre dans la forme et l’usage d’un nom commun. Les exemples sont multiples : Sopalin, Poubelle, Frigidaire, Don Juan, Tartuffe, etc. Un mot devient une antonomase lorsqu’il est repris massivement par la population et les médias.
Ce phénomène apporte de nombreux avantages aux marques qui en font un élément différenciant auprès de leurs consommateurs. Une image de leader et de confiance s’installe avec les clients mais aussi les employés en interne. Cet événement qui se produit relativement naturellement dans la société peut également avoir des conséquences négatives, notamment d’un point de vue légal.
Voici notre décryptage sur l’antonomase ainsi que nos conseils enrichis d’exemples. Nous vous partageons également nos points de vigilance à prendre en compte pour tout connaître sur ce sujet.
Qu’est-ce qu’une antonomase ?
Avant d’entrer dans le vif du sujet, une mise au point s’impose quant à la définition de l’antonomase.
Antonomase, plusieurs définitions possibles
L’antonomase est définie comme une figure de style consistant à remplacer un nom propre par un nom commun et inversement. Un nom de marque ou le nom d’une personnalité peut alors remplacer le nom d’un objet ou surnommer quelqu’un.
Par exemple, on parle de sopalin pour désigner réellement de l’essuie-tout. Quelle que soit la marque, l’objet sera nommé du sopalin par une grande majorité de la population. Il existe une multitude d’autres exemples : un Bic, un Velux, du Coca, un K-way … Pourtant, dans de nombreux domaines, cet élément de langage a plusieurs interprétations.
Après une étude approfondie par nos soins, voici selon nous les deux principales définitions à connaître :
- La définition de langage : Cette vision désigne l’antonomase comme métaphorique. Il s’agit de remplacer un nom propre par un autre nom propre. L’exemple le plus connu est “Le Michel-Ange de l’art moderne” pour citer Picasso. Dans le même sens, on surnomme souvent un séducteur de “Don Juan”, célèbre bel homme dans les œuvres de Molière et de Mozart. Ici, la figure de style est qualifiée de métaphorique puisqu’en effet c’est une antonomase, mais c’est également une simple métaphore.
- La définition marketing : Cette définition va être la plus intéressante pour notre domaine. En effet, celle-ci s’accorde à dire que lorsqu’un nom de marque devient un nom commun, c’est une antonomase. Frigidaire, par exemple, a vu son nom devenir le nom générique de tous les réfrigérateurs dans l’usage commun. C’est le cas pour une multitude d’exemples comme Abribus, Caddie, Scotch, Escalator, Jacuzzi, …
Le nom de marque, repris massivement par la société, prend également l’aspect lexical d’un nom commun. La majuscule disparaît pour laisser place aux accords de genre et de nombre, oubliant même pour certains noms leur origine. Scotch, Sopalin et Velux sont de parfaits exemples de cette insertion passée inaperçue dans la société de consommation.
Le Brandverbing ou comment populariser une marque
La définition marketing d’une antonomase propose une traduction en anglais : le brandverbing. Il s’agit là d’un élément de langage particulier. Véritablement, le brandverbing désigne une action liée à une marque.
Si quelqu’un vous dit qu’il a “shazamé” une chanson par exemple, vous savez qu’il s’agit de l’action de rechercher une musique sur l’application Shazam. L’existence de ce brandverbing démontre l’impact de la société sur votre perception et vos actions.
Twitter (l’action), scotcher, stabiloter, googler, photoshopper, … Tous ces exemples regroupent un même point commun : la marque est leader de son domaine.
Effectivement, n’importe quelle société ne peut pas s’imposer et forcer ses utilisateurs à employer son nom pour leurs actions. C’est l’adage du “premier arrivé, premier servi”.
L’exemple de Bing qui a essayé de devancer Google dans le brandverbing le prouve facilement. En essayant de relancer son moteur de recherche sous le nom Bing, Microsoft a déployé un énorme budget communication pour inscrire le verbe “binguer” dans l’usage générique. Les consommateurs se sont vite moqués du coup de communication raté en clamant “On ne peut pas binguer Google, mais on peut googler Bing !”.
Quels sont les effets marketing de l’antonomase ?
L’antonomase, ou le brandverbing, permet aux marques d’occuper une position dominante dans la société de consommation grâce à un phénomène naturel créé en partie par les consommateurs. Cette position de référent cognitif implique de nombreux bénéfices marketing.
Augmenter la notoriété de la marque
Saviez-vous que Thermos est en réalité une marque ? Qu’un Abribus, un Caddie, un Dictaphone et même un Bateau-Mouche le sont aussi ?
L’antonomase la plus connue et la plus ancienne est très certainement celle d’Eugène Poubelle, le préfet de la Seine, inventeur en 1884 de la poubelle. Preuve que cette figure de style persiste dans le temps.
De manière plus actuelle, l’exemple de Coca-cola montre bien que cela augmente la notoriété d’une entreprise et la place en tant que leader auprès de ses concurrents. Aujourd’hui, que quelqu’un boive du Coca-cola, du Pepsi ou du Breizh-cola, les consommateurs diront qu’ils boivent du “coca”.
Barbie, Bic, Maïzena, Nutella, Opinel, Ray-Ban, Tipp-Ex, Tupperware… ces exemples de marques que vous employez pour désigner leur produit démontrent encore une fois le pouvoir des consommateurs. Vous remarquerez que bon nombre d’entre eux sont implantés dans le marché du retail, l’aspect physique des produits permet également de renforcer ce lien.
Dans le secteur des nouvelles technologies, il est aussi très courant de faire des raccourcis cognitifs. Apple, qui domine le marché des smartphones haut de gamme, place une bonne partie de sa stratégie marketing à entrer dans la tête des consommateurs. Par exemple, on entend davantage parler d’Iphone, d’Ipad et de Mac que de smartphone, de tablette tactile et d’ordinateur portable, preuve d’un succès encore une fois bien établi.
Ces nombreux exemples témoignent d’un même résultat pour les entreprises. Si elles n’étaient pas leader de leur marché avant la lexicalisation de leur nom, elles le sont devenues grâce à ce phénomène. Lorsqu’une marque devient un nom commun ou un verbe et rentre même dans le dictionnaire, son image ainsi que sa notoriété se voient propulsées au rang supérieur.
Renforcer le lien avec les consommateurs
Pour comprendre les bénéfices marketing de l’antonomase, il faut en comprendre les causes. En grande majorité, un nom de marque rentre dans l’usage commun grâce à la domination du marché ou de l’esprit des consommateurs. Cependant, certaines sont issues de campagnes de marketing viral ou bien tout simplement parce que leur nom est plus facile à prononcer que le nom de leur produit.
Ici encore, les exemples ne dénombrent pas. Le Post-It par exemple est beaucoup plus simple à dire et à écrire qu’une “petite feuille de papier auto adhésive amovible faisant partie d’un petit bloc”. C’est également le cas pour Kleenex, Klaxon, Frisbee ou Thermos… De manière générale, les sociétés entrées dans le langage courant ont renforcé le lien avec leurs consommateurs sans qu’ils s’en aperçoivent. Un bénéfice marketing non négligeable, surtout lorsque ce phénomène n’était pas prévu.
Pour aller plus loin, l’exemple de Velcro, contraction de “velours” et “crochet”, est bien plus simple à prononcer que “bande auto-agrippante”. Mais ce n’est pas tout, une grande partie de la population surnomme même cet objet un “scratch”. C’est simplement l’onomatopée du bruit du produit lors de son utilisation, preuve que la société de consommation est maître de l’implantation des marques dans le domaine commun.
Améliorer le sentiment d’appartenance en interne
L’antonomase permet également de renforcer les liens au sein même d’une entreprise. Ici, le brandverbing s’emploie directement aux salariés. Les employés de Google, par exemple, se nomment les “googlistes” ou les “googlers”. C’est de cette façon que s’est produit le brandverbing de l’entreprise, qui s’est ensuite propagé à l’extérieur de la société.
L’antonomase, qu’elle soit un verbe dérivé ou une marque devenue un nom commun, permet de renforcer le sentiment d’appartenance des employés à leur entreprise. La société de consommation améliore l’image de l’entreprise, ce qui, par effet “boule de neige”, améliore l’image des collaborateurs en interne.
L’antonomase consolide l’identité de marque
Dans sa stratégie marketing, une entreprise réfléchit à son identité grâce à son logo, son site internet, la promotion de ses produits ou services, … En créant son logo, elle va inévitablement devoir réfléchir à son nom. Tous ces éléments font partie du branding, c’est-à-dire l’écosystème d’actions qui permet d’affirmer l’identité d’une marque dans la société.
Une partie de l’identité d’une société repose sur son nom. Toutes les entreprises ne peuvent pas prétendre à avoir un nom sous forme d’antonomase. Les TLA (Three-Letter Acronym), comme UGC ou DLC par exemple, ne sont pas compatibles avec.
A l’inverse, des marques fortes sont devenues reconnaissables par leur slogan, un jingle, ou une couleur. L’exemple phare est le “Toudoum” de Netflix ou encore le “What else ?” de Nespresso associé au célèbre acteur George Clooney. Les couleurs d’Ikea sont reconnaissables dès les premières secondes et le “M” de McDonald’s ne laisse pas semer le doute.
L’antonomase, si votre nom peut le devenir ou l’est déjà, fait partie intégrante de votre identité de marque. Vous êtes connu et reconnu. Cela n’est que bénéfique pour votre activité et la visibilité de vos produits.*
Pourquoi utiliser l’antonomase peut avoir un impact négatif ?
Les antonomases permettent aux sociétés d’augmenter leur notoriété et de renforcer leur implantation sur le marché. En revanche, il est nécessaire de tenir compte de plusieurs risques qui pourraient nuire à votre entreprise.
Voici les principaux points de vigilance à avoir :
- L’antonomase peut décrire une image négative de l’entreprise ;
- Votre marque peut finir noyée dans le langage commun ;
- Votre nom de marque peut perdre sa propriété commerciale.
Un impact négatif sur l’entreprise
Il y a quelques années, le verbe “ubériser” est entré dans le dictionnaire français et a bouleversé l’usage des marques dans le langage courant. Jusqu’ici, les antonomases avaient un impact positif sur celles-ci et augmentaient leur visibilité.
Le terme ubérisation, lui, montre un emploi négatif du nom de l’entreprise puisqu’il désigne la destruction d’un secteur d’activité par l’émergence d’un nouveau modèle économique. Le deuxième exemple est le terme “volkswageniser” qui signifie “tromper les consommateurs”. En somme, des définitions qui portent préjudice à l’image des entreprises.
Le domaine commun : un danger pour la marque
Le risque majeur lorsqu’un nom d’entreprise devient une antonomase est de tomber dans le généricide. Ce terme désigne, selon l’Encyclopédie du Marketing, un « terme utilisé pour décrire le processus (involontaire dans la majorité des cas) progressif au terme duquel un nom de marque devient un nom générique ».
Les sociétés citées précédemment comme Post-It, Klaxon, Frigidaire, Thermos et bien d’autres ont perdu, en quelque sorte, leur pouvoir sur les consommateurs. Ces entreprises se sont trop bien intégrées dans la société de consommation, allant jusqu’à voir leur nom disparaître dans le domaine commun.
La dégénérescence de marque
Lorsque le nom d’une marque rentre dans le langage commun, cela devient un danger pour la perception auprès des consommateurs mais aussi un risque important d’un point de vue légal. On appelle cela la dégénérescence de marque.
Le risque sous-jacent de cette dégénérescence porte sur la protection commerciale de son nom. La marque n’est jugée pas assez distinctive et perd alors son usage protégé. De nombreuses entreprises luttent contre ce phénomène. L’exemple le plus parlant est Scotch qui met l’accent sur le symbole ® dans ses communications et sur ses produits.
Pour éviter de tomber dans le domaine commun, les entreprises doivent prouver qu’elles sont des marques déposées, notamment dans leur approche auprès des médias. Elles invitent ces derniers à mettre le symbole ™ dans leurs publications. Si les entreprises ne se battent pas suffisamment, elles peuvent faire face à une déchéance de marque et perdre leur identité de marque. Cela devient un enjeu non négligeable pour leur développement commercial.
La prochaine fois que vous entendrez parler de Thermos ou de Frigidaire, vous pourrez expliquer que cette figure de style se nomme antonomase. Cet élément de langage permet aux marques de gagner la place de leader sur le marché et d’obtenir des bénéfices marketing considérables. Il est toutefois important de rappeler que ce néologisme verbal a ses dangers et qu’il n’est pas sans risque de tomber dans l’oubli plutôt que dans le langage courant.