TASCOM : pourquoi les députés ont renoncé à taxer les entrepôts e-commerce en France
L’Assemblée nationale a rejeté, le 21 novembre 2025, les amendements qui visaient à étendre la TASCOM, la taxe sur les surfaces commerciales, aux entrepôts logistiques de plus de 10 000 m². Après plusieurs mois de débat et une forte mobilisation des fédérations professionnelles, la mesure, pourtant adoptée en commission, ne sera finalement pas intégrée dans la première lecture du projet de loi de finances.
Pour les acteurs du transport, de la logistique et du e-commerce, ce rejet marque un soulagement. Au-delà du signal politique, les organisations professionnelles y voient la fin d’un risque économique majeur pour les entreprises françaises, au profit indirect de plateformes étrangères comme Shein et Temu, qui n’auraient pas été concernées.
Un projet de taxation ciblant les entrepôts français
Les amendements déposés prévoyaient deux volets :
- l’extension de la TASCOM aux entrepôts de plus de 10 000 m²,
- la majoration de la taxe foncière (TFPB) sur ces mêmes installations.
L’objectif affiché par leurs défenseurs était de rétablir une forme d’équité entre commerce physique et e-commerce. Mais pour la quasi-totalité de la filière, la mesure prenait la mauvaise direction.
Selon l’Union TLF, qui représente les métiers du transport et de la logistique, cette taxe aurait constitué « une fiscalité inapplicable et sans équivalent en Europe », avec des risques immédiats sur l’approvisionnement national et les capacités industrielles. La fédération estime que la surtaxation aurait poussé une partie des activités logistiques à se délocaliser vers la Belgique, les Pays-Bas ou le Luxembourg, trois pays où les charges sur les entrepôts sont déjà plus faibles.
La FEVAD avait, elle aussi, alerté fin octobre sur les « graves conséquences » de la mesure. Selon ses calculs, un entrepôt de 100 000 m² aurait pu payer plus de 4 millions d’euros par an de taxe supplémentaire. Un coût jugé excessif alors que la logistique représente déjà le premier poste de dépenses du commerce en ligne.
Une taxe qui aurait favorisé les plateformes extra-européennes
L’un des arguments les plus repris par les acteurs de la filière concerne la distorsion de concurrence. La taxe n’aurait visé que les entrepôts situés en France, c’est-à-dire uniquement les entreprises qui investissent localement et créent des emplois dans le pays.
En revanche, les plateformes étrangères expédiant directement depuis la Chine, Shein, Temu, AliExpress, auraient été intégralement épargnées. Lors d’une prise de position très suivie sur LinkedIn, Marc Lolivier, délégué général de la FEVAD, résume le paradoxe :
« Cette taxe aurait coûté des centaines de millions aux entreprises françaises… et zéro euro à Shein, Temu ou AliExpress. »
Pour les fédérations, taxer les entrepôts français revient mécaniquement à renforcer la position de ces plateformes, qui s’appuient sur des flux transfrontaliers massifs. Ce mécanisme irait, selon elles, à l’encontre des prises de position politiques récentes visant à encadrer davantage ces acteurs.
Une lecture partagée par d’autres organisations : le Conseil du Commerce de France, l’Union TLF, la Fédération du Commerce et de la Distribution… Toutes ont souligné qu’une telle taxe aurait amplifié les difficultés concurrentielles déjà constatées sur le terrain.
Un risque de délocalisation et d’impact social massif
L’extension de la TASCOM aurait aussi pu provoquer un mouvement de délocalisation logistique vers les pays voisins. Pour les entreprises, déplacer un entrepôt de quelques dizaines de kilomètres peut suffire pour bénéficier d’un régime fiscal plus favorable, notamment aux Pays-Bas ou en Belgique, territoires souvent choisis pour leurs hubs logistiques européens.
Cette perspective inquiète les professionnels :
- plus de deux millions d’emplois dépendent du transport et de la logistique en France, rappelle l’Union TLF,
- la filière représente près de 10% du PIB,
- le secteur e-commerce s’appuie sur un réseau d’entrepôts essentiel pour la gestion des stocks, la préparation de commandes, les retours et le dernier kilomètre.
Pour la FEVAD, la taxe aurait fragilisé de nombreux petits commerçants digitalisés, souvent dépendants d’entrepôts mutualisés. La mesure aurait donc touché une large partie des entreprises du commerce, bien au-delà des seuls géants du e-commerce.
Un non-sens écologique relevé par la filière
Autre critique : l’impact environnemental.
Une taxe supplémentaire sur les entrepôts français aurait incité à délocaliser hors du territoire. Résultat :
- plus de kilomètres parcourus,
- plus de flux transfrontaliers,
- et donc plus d’émissions de CO₂.
Marc Lolivier parle d’un « non-sens écologique », rappelant que la proximité logistique est un des leviers les plus efficaces pour réduire l’empreinte carbone des livraisons.
Dans un contexte où l’État et l’Union européenne cherchent à décarboner le transport, la mesure apparaissait déconnectée des objectifs climatiques.
Une mobilisation collective qui a pesé dans le débat
Le rejet de l’extension de la TASCOM est aussi le résultat d’une mobilisation unifiée du secteur.
Plusieurs organisations,FEVAD, Union TLF, CdCF, FCD,ont mené un travail de pédagogie auprès des parlementaires, alertant sur les risques économiques, sociaux et environnementaux.
Du côté de l’Union TLF, la décision est qualifiée de « décision de responsabilité », saluant les députés qui ont reconnu l’importance stratégique de la filière logistique pour la souveraineté du pays.
La FEVAD appelle désormais à maintenir cette position au Sénat, étape suivante du débat budgétaire. Pour les acteurs du secteur, il ne s’agit pas seulement de rejeter une taxe, mais de garantir un cadre stable et cohérent pour un écosystème qui joue un rôle central dans l’économie française.
Une décision qui reflète un enjeu plus large : la souveraineté logistique française
Le rejet de la TASCOM intervient dans un contexte plus large de tensions entre acteurs français et plateformes étrangères à croissance rapide.
En 2025, le débat s’est considérablement intensifié autour :
- des petits colis extra-européens (notamment l’adoption de la taxe de 2€ par l’Assemblée),
- des préoccupations sur la conformité des produits venus de l’étranger,
- de l’explosion des volumes importés,
- et de la nécessité d’assurer une concurrence équitable.
Pour beaucoup d’acteurs, il s’agit de rétablir un équilibre sans fragiliser les entreprises qui opèrent en France et paient déjà une palette de taxes : TFPB, CFE, CVAE, TEOM, taxes locales, impôt sur les sociétés…
La suppression de l’extension de la TASCOM s’inscrit donc dans une réflexion plus globale sur la manière de concilier souveraineté, attractivité logistique et équité commerciale.
Ce qui attend désormais le secteur
La prochaine étape se jouera au Sénat, où la mesure pourrait théoriquement revenir dans le débat. Pour les organisations professionnelles, maintenir la cohérence de la décision est crucial.
Comme l’a résumé Marc Lolivier :
« On ne renforce pas notre souveraineté en fragilisant ceux qui produisent et investissent sur notre territoire. »
Le débat sur la fiscalité du e-commerce et de la logistique ne disparaît pas pour autant. Il devrait revenir dans les prochains mois, avec d’autres propositions visant à rééquilibrer le rapport entre commerce physique, e-commerce, marketplaces européennes et plateformes étrangères.